Le KPI que (presque) personne ne pilote vraiment
Cela fait plus de quinze ans que je travaille dans le conseil en transformation, et depuis le tout début, j’entends parler de performance. Sous toutes ses formes : processus, innovation, indicateurs clés de performance (KPI), agilité… C’est devenu un mot fourre-tout, presque un réflexe. Mais aujourd’hui, j’éprouve le besoin de poser un autre regard. Parce que dans le monde qui est le nôtre — en pleine transformation digitale, en quête de sens, bousculé par les enjeux écologiques et les attentes des collaborateurs — on ne peut plus parler de performance sans parler d’engagement.
Et je ne parle pas d’un engagement théorique ou d’un concept RH à la mode. Je parle de ce que je vois, de ce que je vis, de ce que j’accompagne au quotidien :
- Des équipes qui se donnent, ou qui décrochent.
- Des managers qui inspirent, ou qui épuisent.
- Des environnements qui stimulent, ou qui étouffent.
L’engagement, c’est ce lien invisible mais puissant entre une personne et son travail. C’est émotionnel, cognitif, comportemental. Et c’est influencé par des choses très concrètes : la culture d’entreprise, le style de management, la reconnaissance, les perspectives d’évolution… Quand il est là, tout change : moins d’absentéisme, plus de qualité, plus de fidélité. Quand il manque, tout s’effrite.
Je suis convaincu que l’engagement n’est pas un supplément d’âme. C’est un levier stratégique : Les entreprises les plus performantes ne sont pas celles qui contrôlent le plus, mais celles qui mobilisent le mieux. Et les chiffres sont là pour le rappeler : selon Gallup (2023), State of the Global Workplace Report, seuls 23 % des salariés dans le monde se disent engagés. En France, seulement 8 % le sont pleinement (étude Gallup 2025). Ce désengagement coûte en moyenne 34 % du salaire annuel par employé. C’est colossal. Et pourtant, on continue souvent à le traiter comme une variable secondaire.
Dans mon métier, j’ai appris que l’engagement ne se décrète pas. Il se construit. Il repose sur quatre piliers essentiels :
- Sens + Reconnaissance + Autonomie + Bien être
Schaufeli et Bakker (2004), Job Demands, Job Resources and Their Relationship with Burnout and Engagement, parlent de vigueur, de dévouement, d’absorption. Ce sont des états qui ne naissent que dans des environnements cohérents, stimulants, humains. La thèse de Rottemberg (2021), Pratiques managériales et engagement des salariés, le confirme : quand le management donne du sens, clarifie les objectifs et valorise les individus, la performance suit.
Et ce ne sont pas de simples idées. Ce sont des réalités que je vois dans les entreprises que j’accompagne, ou que j’observe avec attention :
- Decathlon, par exemple, en responsabilisant ses équipes locales, a vu une croissance de +12 % dans les magasins autonomes, avec 86 % des collaborateurs fiers de leur entreprise. (2023, « Baromètre interne RH », données communiquées dans le cadre du programme “Autonomie locale”)
- L’Oréal, en intégrant des objectifs RSE dans les KPI managériaux, a réduit le turnover de 25 % et généré +10 % de croissance dans les divisions les plus inclusives. (2023, « Rapport RSE et performance durable »)
- BNP Paribas, avec une transformation culturelle axée sur l’agilité, a réduit de 30 % les délais de livraison de projets, et 78 % des collaborateurs ont vu leur efficacité personnelle s’améliorer. (2022, « Programme de transformation culturelle interne », étude sur l’efficacité des équipes agiles)
- Patagonia, enfin, affiche un taux de rétention supérieur à 90 % et une croissance annuelle de 13 %, portée par une mission environnementale forte et partagée. (2021, « Case Study: Purpose-Driven Growth », Harvard Business Review)
Il y a un levier qu’on oublie trop souvent : l’environnement de travail. L’espace physique. Ce n’est pas un détail. C’est un facteur d’engagement, de concentration, de sentiment d’appartenance et de bien-être.
Le rapport Steelcase (2022), Global Report: Engagement and the Workplace, montre que les employés les plus engagés sont aussi ceux qui se disent les plus satisfaits de leur lieu de travail. En France, plus de la moitié des salariés sont désengagés et insatisfaits de leur environnement. L’étude JLL (2022), Workplace Preferences Survey, révèle que 70 % estiment que l’aménagement impacte leur performance, et 30 % souhaitent une amélioration concrète. Harvard Business Review (2021) va plus loin : les bureaux fermés augmentent la productivité de 50 % par rapport aux open spaces de grande taille.
Mais au-delà des chiffres, ce qui compte, c’est la capacité à créer des lieux flexibles, adaptés aux besoins réels — individuels et collectifs.
Alors oui, je le dis clairement : il est temps de piloter l’engagement comme un actif stratégique. De former les managers au leadership transformationnel. D’intégrer des indicateurs RH dans les tableaux de bord. De repenser les espaces de travail pour qu’ils soient fonctionnels et inspirants. Et surtout, d’écouter les collaborateurs.
Le feedback ne doit pas être un rituel RH, mais une source continue d’amélioration. L’autonomie ne doit pas être un mot à la mode, mais une réalité vécue. Et le sens ne doit pas être un slogan, mais une expérience partagée.
Ce que j’observe, ce que je ressens, ce que je défends…, c’est que l’engagement est une énergie discrète mais puissante. Elle transforme les organisations de l’intérieur. Elle génère de la performance, de l’innovation, de la fidélisation. Elle crée du lien, du mouvement, du sens.
Pour moi, la performance ne peut plus être dissociée de l’humain. Et l’humain ne peut plus être dissocié de son environnement. Je crois profondément que la performance de demain ne viendra pas d’un contrôle accru, mais d’une confiance renforcée. Elle ne viendra pas d’un espace standardisé, mais d’un environnement pensé pour les personnes qui le font vivre. Elle ne viendra pas d’indicateurs isolés, mais d’une vision intégrée où les personnes, les processus et les lieux travaillent ensemble.
Et si demain l’engagement devenait le (presque) premier KPI à suivre ?
Mar Escribano Quiñonero
Experte en environnement de travail

